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Challenges de l'expérience client bancaire : Interview

Mathilde Ouvrard

Challenges de l'expérience client bancaire : Interview

Où en sont les banques de détail en termes d’expérience client et de transformation digitale en 2023 ? C’est la question que nous avons posée à Gerald Manzanares, Directeur Associé de Nouvelles Donnes, entreprise spécialisée dans le conseil en transformation et l’accompagnement des talents de l’industrie financière. Expérience client de la néo-banque versus celle de la banque traditionnelle, rôle de l’Intelligence Artificielle dans l’assistance aux clients, prise en compte de l’engagement écologique croissant des consommateurs… Découvrez un échange qui dépasse les idées reçues sur le secteur et dévoile les principaux chantiers de l’expérience client dans la banque en 2023. 

 

Cet article fait partie d'une série de contenus dédiés au secteur bancaire, retrouvez sur le sujet :

  • Le classement des banques les plus conversationnelles en 2023. 
  • Une infographie qui détail les chiffres clés de nos clients dans la banque ainsi que les tendances remarquées chez ces derniers.
  • Le guide complet de la transformation digitale et conversationnelle du secteur bancaire.

 

Il y a deux ans, au sortir de la crise sanitaire, iAdvize avait livré une analyse de l’expérience digitale des banques. L’un des principaux constats en 2021 était le succès des néo-banques dans leur capacité à remettre le consommateur au centre plutôt que le produit. Début 2023, les banques classiques se sont-elles alignées sur la digitalisation du service client ?

L’opposition néo-banque - banque traditionnelle est sans doute moins manichéenne que l’on veut bien le percevoir. Le confinement et la crise ont rebattu les cartes. Nous avons vu d’une part une hausse de la cote de confiance des banques qui ont su réagir très rapidement en termes de moyens accordés à l’économie avec une forte mobilisation sur les PGE [Prêt Garanti par l’État], c’est-à-dire de mise à disposition de moyens de l’économie, mais aussi en termes d’accessibilité à leurs conseillers pour assurer une continuité de service malgré la crise. 

Le développement du télétravail, avec la mise en place de postes nomades, ont mis fin à certains tabous en interne et ont permis de fortement redorer le blason des banques traditionnelles, comme on le constate dans les dernières enquêtes de satisfaction

En parallèle, côté néo-banque, si la digitalisation des parcours permet aux clients d’être plus autonomes, dans le même temps, le besoin de conseils et d’accompagnement humain reste différenciant sur certains moments clés. 

Les néo-banques ont eu les mêmes difficultés que les banques traditionnelles à maintenir leurs services à distance pour permettre de joindre leurs téléconseillers. Et on enregistre même quelques faillites ou arrêt d’activité, car qu’elles soient spécialisées sur un créneau comme les jeunes ou les professionnels ou plus généralistes, certaines néo-banques ont eu du mal à trouver leur cible, n’offrant pas toute la palette à la fois relationnelle et de services.

 

Quels sont les principaux challenges des banques en 2023 en matière d'expérience client ? 

Il y a eu pendant cette période de confinement un effet d’accélération sous contrainte dans la digitalisation, dans le développement du self-care ou de la signature électronique. Cela a permis de lever des barrières technologiques et de trouver des solutions face à des contraintes techniques, de sécurité, de conformité, ou juridiques, qui pouvaient freiner certains projets. 

Aujourd’hui, toutes les banques françaises sont dans un mouchoir de poche en matière de solutions self-care offertes aux clients. Toutes ont engagé des programmes de rénovation de leur parcours, il y a donc de vrais progrès en matière de digitalisation. 

En parallèle, il y a cette prise de conscience que la différence - entre banques, établissements et même parfois au sein d’un même réseau - s’est faite beaucoup ces trois dernières années sur l’accessibilité client. C’est-à-dire au-delà d’une simple capacité de décrocher son téléphone ou répondre à un mail, de pouvoir apporter une réponse complète et rapide aux demandes des clients. C’est un grand enjeu de 2023 : toutes les banques sont en train de repenser leur dispositif d’accessibilité, avec un impact net au niveau de l’IRC [Indice de Recommandation Client utilisé pour mesure la qualité de l’expérience client]

 

Quel rapport le secteur bancaire entretient-il avec le messaging ?

Certaines banques ont profité du confinement pour tester l’usage de la visio avec leurs clients, mais peu encore, contrairement aux autres industries, osent utiliser les canaux de messaging, malgré une prise de conscience du développement de ceux-ci (notamment auprès des jeunes), et cela, pour plusieurs raisons : 

  • La raison principale est la crainte d’un afflux non maîtrisable de demandes qui requièrent une réponse rapide, quasi immédiate sous peine de voir sa e-réputation en souffrir sur les réseaux sociaux, et donc la difficulté à appréhender l’organisation à mettre en place pour les traiter. Le vrai sujet est donc : quelle organisation pour ouvrir et bien traiter ces nouveaux canaux ?
  • Deuxièmement, l’accessibilité téléphonique et mail constitue déjà un chantier important pour les banques. Elles ont réalisé que celles dotées d’un système efficace d’orchestration et de traitement des demandes entre les centres d’appels et les agences pouvaient fortement réduire le niveau de rappels et dégager du temps pour leurs conseillers. La maitrise de ces canaux est donc jugée prioritaire avant d’en ouvrir d’autres. 
  • Enfin, le cadre réglementaire, sécuritaire et juridique propre à la banque amène des interrogations plus ou moins fondées sur l’utilisation du canal messaging et ce qu’une banque peut ou ne peut pas faire via ce canal instantané : quelle capacité à authentifier un client de façon certaine pour répondre à certaines demandes, quel risque en cas de non-respect des mentions obligatoires lors d’une réponse à un client pour un taux de crédit à la consommation par exemple, etc.

 

En prenant en compte ces réticences, quels conseils organisationnels donneriez-vous aux banques qui veulent initier leur transformation conversationnelle ? 

La résolution de ces dilemmes doit passer par la réalisation de tests sur certains périmètres d’activité de la banque (crédit, assurance, assistance) ou auprès de clients forcément utilisateurs (jeunes par exemples). 

Notamment, le canal messaging est particulièrement adapté dans un service client pour répondre aux demandes à caractère d’urgence ou qui relèvent de l’assistance pure du type “je suis bloqué”, “je n’arrive pas à me connecter”. C’est un domaine pour lequel les canaux de messaging sont particulièrement adaptés. Si je suis bloqué sur le site ou que j’ai dépassé mon plafond carte, pouvoir envoyer un message en direct à un interlocuteur et obtenir une réponse réactive par le même canal, c’est un appel ou un mail évité. C’est sans aucun doute l’un des axes où les banques ont le plus d’expérimentations à mener.

 

L’automatisation via le recours aux chatbots est justement plébiscité pour ce cas d’usage. L’intelligence artificielle conversationnelle a aussi le pouvoir de simplifier la vie des conseillers du service client en les aidant à trouver des réponses plus facilement par exemple. Comment voyez-vous l'IA compléter le contact humain indispensable à la relation client dans ce secteur ? 

Tous les établissements de la place travaillent sur ce sujet. L’un des enjeux est de mettre en évidence d’une part l’apport que cette intelligence a auprès des clients et d’autre part, l’apport pour les conseillers

D’ailleurs, en matière de mise en œuvre, la plupart des banques ont d’abord déployé un chatbot en interne pour leurs propres conseillers, avec un ROI quantifiable à la clé, puisqu’ils permettent de traiter toutes les demandes qui arrivent auprès des SAV internes et de les soulager. 

Autre avantage, la documentation interne servant de matière première pour les bots, cela permet grâce à l’IA d’en profiter pour détecter des incohérences et mettre à jour cette documentation. Or, à partir du moment où l’on peut montrer par la preuve qu’un chatbot est en capacité de répondre correctement dans plus de 80% des cas, cela donne confiance pour étendre son usage à la relation client. Avec une base de connaissance correcte et éprouvée en interne, c’est un élément accélérateur.

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Peut-on imaginer non seulement du support, mais aussi de l’avant-vente par messaging sur les sites et applications des banques ?

Oui, parce que le canal messaging est en train de monter en puissance. Mais ce qui va déterminer la rapidité de la mise en œuvre, c’est :

  • Le cadre juridique tout d’abord : il y a des domaines d’activité plus éligibles à ce canal que d’autres pour des questions de conformité ou de traçabilité.
  • La dimension du conseil d’autre part : les conseillers peuvent pousser une information produit au client en avant-vente sur une offre. Pour des produits simples, comme des produits d’épargne, il est possible d’utiliser le messaging dans le cadre d’un programme relationnel marketing. Le bénéfice pour la banque est de développer un parcours de self-care, qui permet de tirer profit des investissements digitaux

Ce qui est sûr, c’est que les stratégies marketing doivent être pensées de manière omnicanale. Aujourd’hui, elles sont passées d’une communication très axée sur le mail ou la proactivité du conseiller par le téléphone à une communication plus axée sur le digital, qui implique d’être réactif pour contacter un client qui fait une simulation sur mon site ou envoyer une notification sur mon application. Finalement, cela reste encore très en silo. Il faut construire une stratégie intégrant tous les canaux pour tester les avantages et les inconvénients de chacun et adapter en fonction de la nature des besoins du client, de son âge, de ses préférences d’utilisation et des sujets que la banque veut aborder avec lui. 

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Les clients fréquentent moins les agences. Selon une étude de Sia Partners révélée par Les Echos, 15% des agences bancaires françaises vont fermer d'ici 2024.  En parallèle, 50% des Français déclarent interagir avec leur banque via une application mobile ou sur le site web au moins une fois par semaine - contre 32% d'entre eux, il y a 2 ans selon Accenture. Pensez-vous qu’il faille réinventer le rôle des agences bancaires pour s’adapter aux parcours client plus hybrides d’aujourd’hui ?

Il y a ici deux dimensions. La première est la question des canaux. C’est le sens de l’histoire d’avoir une ouverture progressive de l’ensemble des canaux disponibles en fonction des habitudes des clients et non du choix de la banque. Je pense par exemple à la visio, avec certaines banques mutualistes qui ont, de façon très volontariste, poussé pour le développement de ce canal dans les agences.

La deuxième dimension est la notion de partage du client. La solidarité entre les conseillers bancaire a joué à plein pendant le confinement : certain.es. prenaient le relai quand d’autres ne pouvaient pas se déplacer, ou devaient garder leurs enfants et n’étaient pas disponibles, physiquement ou en télétravail.  Cette continuité de service qui permet d’apport une réponse “même quand ce n’est pas mon conseiller attitré” a été appréciée par les clients. 

Cette notion du partage du client est donc l’élément qui va faire évoluer plus ou moins vite la stratégie d’accueil dans les agences, parce que c’est ce qui va permettre d’améliorer l’accessibilité et d’accélérer la réponse à la première demande. Au lieu d’entendre une fois arrivée en agence “votre conseiller est actuellement indisponible”, pouvoir traiter la demande est tout de même plus pertinent pour le client. Mais cela implique pour les banques et les conseillers de lever certains freins comme, par exemple, les systèmes de rémunération, l’organisation du travail ou la structure hiérarchique de leur réseau. Là aussi, certaines banques sont plus en avance en la matière, ce qui les amène à considérer que 5-7 agences proches vont constituer une même entité pour une gestion plus collective.

 

Le nombre de consommateurs européens “éco-engagés” va augmenter de 50% cette année selon Forrester. Les changements environnementaux et la prise de conscience des consommateurs vont-ils impacter la stratégie digitale des banques ?

Ils l’impactent d’ores et déjà. Ce phénomène sociétal s’est traduit dans le domaine bancaire par des obligations et des décrets réglementaires sur la transition énergétique. Le grand public a surtout retenu des contraintes de financement vert pour les banques, mais concrètement, grâce aux textes qui entrent en vigueur dès cette année, les banques sont dans l’obligation de mesurer l’impact de leur activité via leurs clients, ce qui contingente la capacité de financer, voir demain la capacité à délivrer certains services bancaires. 

Ce qui soulève beaucoup de questions : comment mesurer cela, comment en avoir la connaissance, sur quel périmètre, etc. Imaginons que je suis agriculteur en Bretagne où je possède un élevage porcin. Mon activité émet des gaz à effet de serre. Est-ce que ma banque continue à me prêter ou bien ne pourra-t-elle que me suivre sur la mise en place des filtres de réduction de CO2 et pas dans le financement d’achat de bétail ? 

Parallèlement, au-delà des annonces sur les projets de consacrer une partie des dividendes à des projets verts, il y a une volonté d’être véritablement acteurs de la transition énergétique. Plusieurs banques ont conçu des outils (par exemple le portail “J’écorénove mon logement” du Crédit Agricole) dont l’objectif est d’aider les particuliers à réduire les passoires énergétiques et améliorer le confort de leur logement ou réduire leur facture énergétique en leur proposant des nouveaux services : des simulateurs pour connaître les aides disponibles et accéder à un panel d’artisans partenaires. On est en train d’inventer des nouveaux parcours. Donc oui, aujourd’hui, cela a commencé